Le dogue argentin est une création du XXème siècle.
Le concept : concevoir une nouvelle race de chasse, molossoïde et adaptée à l’environnement argentin. Un programme de sélection ambitieux pour Antonio et Agustin Nores Martinez, ses créateurs.
Pour la Caza Mayor, la composition de la faune de l’Argentine permet de chasser le pécari, l’axis, le guanaco, le tapir, le renard, le puma (ces 2 derniers causant des dégâts parmi les troupeaux) et éventuellement le jaguar dans le nord.
Des sujets de différentes races, issus des meilleures lignées de travail européennes sont importées par quelques Estancieros, notamment
dans les provinces de la Pampa, de Nuequen, du Rio Negro : sont ainsi essayés Beagles, Harriers, Wolfounds, Deerhounds, Fox Hounds,… Hors, ces chiens aussi compétents soient-ils à
l’origine, vont se révéler inadaptés au contexte de chasse dans ces lieux.
Car en effet, la chasse en Argentine n’a rien à voir avec les autres chasses.
L’Argentine est un immense et sauvage pays, s’étirant sur 3.700 kms du nord au sud. Le relief est extrêmement varié, grandes plaines à l’est, montagnes à l’ouest, plateaux rocheux au sud. La
végétation est également très différente suivant les endroits.
En effet on retrouve la pampa au centre : immense étendue d’herbe et d’eau de 650.000 kms² (soit 20 % de la superficie du pays). Au nord de cette zone, le Chaco, steppe semi-aride puis au nord-est
les forêts tropicales et subtropicales ; au sud la Patagonie (670.000 kms²), venteuse et caillouteuse, peuplée de broussailles.
On retrouve également, sur les contreforts des Andes, des forêts de conifères, lacs et glaciers. Le climat est par conséquent très changeant suivant les régions : humide et chaud, sec et chaud
ou humide et froid, sans compter la bande de sécheresse qui traverse le pays du nord-ouest au sud-est.
De ce fait, il a donc été difficile pour les races étrangères de s’adapter à de telles conditions et des gibiers si différents. Ils manquaient de polyvalence et donc plusieurs problèmes se posaient : les chiens peuvent manquer d’endurance, être trop petits, trop lents ou trop grands pour négocier les différentes difficultés du terrain, ou perdre la piste s’ils quêtent le nez au sol car dans cet environnement, le sanglier est une bête sèche et agile qui se faufile partout et court à 50km/h, le puma quant à lui peut se réfugier dans les arbres.
Un autre problème rencontré avec les chiens courants qui aboient sur la voie (caractéristique sélectionnée en Europe) : le gibier
argentin fuit de si loin, qu’il devient, dans ces immensités, impossible à rattraper.
Lorsqu’elle se confond avec le paysage, la couleur des chiens ne convient pas non plus car elle les expose aux erreurs de tir.
Enfin, l’attitude du chien face à sa proie est un point crucial : il ne suffit pas ici de tenir la bête au ferme en l’intimidant. Les chiens doivent avoir la force et la bravoure d’assujettir la
bête jusqu’à ce que le chasseur, qui arrive souvent à pieds (contraint aux particularités du terrain) achève l’animal au poignard. Pour le chien cela n’est pas une chose facile puisqu’il s’agit la
plupart du temps d’animaux aussi dangereux que le sanglier, le renard de Patagonie (aussi gros qu’un coyote nord-américain) et même de grands félins tels que les pumas et les jaguars.
Pour Antonio, il s’avère nécessaire de créer une nouvelle race qui pourra s’adapter à la chasse en Argentine. Pour cela, il va utiliser des races déjà existantes.
LE PERRO DE PELEA CORDOBES
A cette époque, il existe pourtant bien un chien qui, sur le plan de la combativité n’aurait rien à envier à un autre animal. Dans la grande ville de Cordoba, demeurée très imprégnée de culture espagnole, les combats de coqs et de chiens sont très populaires depuis la fin du XIXème siècle. Des métis de différents molosses introduits par les colons européens sont utilisés pour lutter contre leurs congénères. A la base, on y retrouve probablement des races comme le Bulldog, le Bull Terrier, le Boxer et des mâtins venus d’Espagne.
A Cordoba, on sélectionne ces chiens pour leur courage formant ainsi des lignées qui aboutissent à un type relativement homogène, appelé « perro de pelea cordobes ».
N’ayant toujours pas trouvé un chien de chasse correspondant à l’Argentine, Antonio Nores Martinez s’est lancé dans la recherche du chien adéquat. Selon lui, il était possible de détourner la combativité du Perro de pelea cordobes vers le gros gibier.
Antonio Nores Martinez (1907-1956) était le fils aîné du Dr Antonio Nores et de Isabel Martinez Berrotan, famille de notables de Cordoba, particulièrement férue de chasse et de chiens. La famille Martinez appréciait le perro de pelea cordobes (combat) mais selon Ruben Passet Lastra (l’une des personnes fondatrice du dogue argentin et ami de la famille), ils regrettaient tout de même qu’autant de bravoure, de courage et d’efficacité à la lutte soient gaspillés dans des actes si inutiles. Et que la race disparaîtrait un jour ou l’autre du fait que ces pratiques seront un jour ou l’autre interdites en Argentine.
C’est alors le début d’une grande histoire…
LES DÉBUTS DU DOGUE ARGENTIN
Antonio fait donc part de son projet à son frère cadet Agustin (1908-1978), qui va le seconder pour le mener à bien. Agustin sera toujours aux côtés d’Antonio pendant l’histoire de la création du dogo.
Pour Antonio, son futur chasseur devra :
- être moyennement rapide mais surtout très endurant,
- quêter le nez haut et en silence,
- montre la puissance et le courage nécessaires pour lutter contre ses proies,
- être capable de chasser en petite équipe,
- avoir une taille moyenne à grande,
- avoir le poil court pour progresser partout et ne pas être incommodé par la chaleur (tout en résistant à tous les climats du pays),
- avoir une robe blanche pour éviter toute confusion.
Il va donc leur falloir beaucoup de travail pour transformer le perro de pelea cordobes en dogue de chasse à l’ancienne, le plus difficile étant de lui donner les performances olfactives et athlétiques d’un pisteur et la capacité de s’ameuter sans lui enlever sa bravoure.
Antonio ayant rédigé sont standard dès 1928, il lui faut désormais procéder à la « métamorphose » du Perro de
pelea cordobes. A défaut du manque de connaissances génétiques de cette époque, Antonio va devoir être très méthodique. Antonio Nores Martinez était un scientifique, il fut médecin, chirurgien,
professeur à l’Université de Cordoba et aussi Directeur du service de traumatologie de l’hôpital militaire de la ville.
Il commence donc par se documenter un maximum grâce à la littérature anglo-saxonne et francophone disponibles. Il collectionne également les squelettes canins de différentes races afin d’étudier les
correspondances entre les critères anatomiques et morphométriques de tel ou tel type de chien et sa fonction.
Le Perro de pelea cordobes, dont ils vont utiliser plusieurs familles pour éviter les inconvénients d’une étroite consanguinité, forme bien la large base du futur Dogo, les autres races dont ils veulent capter telle ou telle qualité sont employés comme apport : certaines de manières répétées, d’autres de manière plus ponctuelle.
LES RACES FONDATRICES DU DOGUE ARGENTIN
Extrait du texte écrit par Antonio Nores Martinez écrit à l’attention de la FCA (Fédération Cynologique Argentine) lors de la reconnaissance de la race :
- le Bull terrier, le Bulldog anglais et le Boxer pour accentuer son courage, sa résistance et sa ténacité à la lutte.
LES ANCETRES DU DOGUE ARGENTIN
Dans leur programme de croisement, les frères Nores Martinez ont notamment utilisé (source : Ruben Passet Lastra) :
- Le POINTER importé de France ‘Zug de Tregroaz’, offert par l’ingénieur Miguel Arambide à Antonio Nores père.
- Le POINTER ‘Champion’, fils de ‘Zug’ et de la chienne ‘Hantipe Saint Fargeant’, champions français de beauté et de travail.
- D’autres POINTERS furent utilisés par Agustin.
- Le DOGUE ALLEMAND ‘Ney’, propriété d’Antonio Nores père.
- Le DOGUE ALLEMAND ‘Fox’ à Don Carlos Cuadro del Viso, fils d’un spécimen importé d’Allemagne. Ce chien, dont on dit qu’il était gigantesque, fut utilisé plusieurs fois.
- Un croisé DOGUE DE BORDEAUX, chasseur de puma, accouplé à une chienne BULL TERRIER, un de leur descendant a aussi été utilisé.
- Un croisé IRISH WOLFHOUND ‘Nahuel’, chasseur de sanglier, fils d’une chienne pure race importée d’Irlande et d’un
Dogue allemand, utilisé pour couvrir cette chienne car la propriétaire n’avait pas trouvé d’étalon de sa race.
- 2 IRISH WOLFHOUNDS ‘Max de Wipoomil’ et une femelle.
- Un autre couple d’IRISH WOLFHOUNDS ramenés du Canada par Agustin, ‘Gelert of Tippery’ et la championne du Canada et des USA ‘Sheela Alana de Otawa’, pour compenser une perte de taille dans le
cheptel du dogo.
- Un couple de MONTAGNE DES PYRÉNÉES venant des USA surnommés ‘Josefina’ et ‘Napoléon’ par Agustin. Ils prennent les numéros 1 et 2 au livre des origines argentin pour la race du Montagne des Pyrénées.
- Un BULLDOG ANGLAIS.
- Un BULLDOG ANGLAIS blanc ‘John Bull’, importé d’Angleterre.
- les BULL TERRIERS ‘Centauro’ et ‘Don Quijote de la Mancha’, fils de chiens importés d’Angleterre, ce Bull qui s’est révélé être sourd, a apporté ce défaut héréditaire dans la race en construction.
- 2 BOXERS.
LA MÉTHODE NORES
Antonio commence alors sa sélection avec une dizaine puis une trentaine de femelles Perro de pelea, ainsi qu’avec d’autres étalons d’autres races appartenant à des amis, ou importés par ses soins (cf. partie « Ancêtres »). Pour éviter les inconvénients d’une consanguinité excessive, il scinde sa production en 2 groupes qu’il appelle ‘Araucana’ et ‘Guarani’ (nom de 2 tribus indiennes argentines).
La production est ensuite systématiquement testée sur le terrain. Agustin racontera comment des générations du Dogo en formation sont soumises à « une gymnastique fonctionnelle intense et appropriée », chassant le grand gibier argentin tantôt dans le nord, tantôt dans le centre du pays, aiguisant sans cesse leurs capacités athlétiques et leur instinct de chasse et de lutte, tout en prouvant leur capacité à faire équipe.
Agustin met l’accent sur le fait qu’il s’agit de la seule grande race à poil court à être entièrement blanche, et plus important encore, sur le gabarit parfaitement fonctionnel, qu’il détermine notamment par un rapport poids/taille idéal de 45 kg et 65 cm. Mais le dogue argentin se définit aussi par ses qualités mentales : bravoure, habileté et intelligence.
LA TÉMÉRITÉ DU DOGUE ARGENTIN
Pour Antonio et Agustin, le chien national doit refléter, en tant qu’élément culturel à part entière, la fierté et la virilité
latines. Il écrit :
«… enfin dans certaines chasses, affligé de profondes blessures, il peut être blessé dans ses parties les plus sensibles sans manifester de douleur. Le ventre ouvert par les griffes d’un puma ou
les défenses d’un sanglier, il continue la lutte sans défaillir […]. Comme cette caractéristique d’extraordinaire courage et résistance à la douleur peut uniquement être vérifiée lors de l’action de
chasse, nous mettons nos dogues à l’entière disposition de toute personne désignée par cette institution afin de l’expérimenter et de la vérifier. »
LA PROMOTION DU DOGUE ARGENTIN
Pour les frères Nores, le dogo n’est pas destiné à seulement constituer le cheptel canin de la famille mais à servir tout le pays.
Dès 1930, ils exposent des dogues argentins dans toutes les manifestations canines possibles.
Dans les années 1940, la race commence à se fixer, les chiens étant placés chez des parents ou des relations des frères Nores.
En 1947, Antonio publie le standard dans la revue Diana de la Société des Chasseurs de Buenos Aires.
Malheureusement, le Dr Nores Martinez ne parvient pas à faire reconnaître son Dogo par l’organisme cynophile de l’époque, le Kennel Club Argentin, pour lequel il n’est qu’un « bâtard ».
Quelques temps avant sa mort, Antonio fut découragé et abandonna la sélection du Dogo. Par fidélité pour la mémoire de son frère, Agustin insistera au contraire sur sa détermination dans l’accomplissement de la tâche qu’ils s’étaient fixée. Entre 1953 et 1956, Antonio envoie ses meilleurs chiens à Agustin.
Le Dr Nores Martinez ne devait hélas jamais voir l’achèvement de son travail. Le 2 décembre 1956, il mourut lors d’une partie de chasse.
Agustin reprit le flambeau. En 1957, il s’installa en Patagonie sous l’affixe ‘Del Chubut’. L’entreprise s’avère très difficile car Agustin ne parvient à retrouver que très peu de Dogos car beaucoup ont été dispersés. Le cheptel est donc réduit et les qualités recherchées n’y sont pas toujours. Il faut donc à Agustin réinitier un programme de croisement avec certaines des races formatrices (Pointers, Irish, Dogues allemands, Montagne des P.).
LA RECONNAISSANCE DE LA RACE
En 1964, le Dogue Argentin a été reconnu par la F.C.A. (Federacion Cinologica de Argentina) et par la Société Rurale Argentine qui lui a ouvert son livre des origines.
La F.C.I. (Fédération Cynologique Internationale) a reconnu la race en 1973.